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MARTINGALE L'ENCHANTEUR
Par Olivier VAN CAEMERBEKE. Sélection READER'S DIGEST avril 2014.
Le chirugien Dominique Martin le sait : pour ce type d'opération, le foulard et les cordes sont indispensables. À Marseille, l'hôpital de la Timone Enfants ne plaisante pas avec les protocoles thérapeutiques. L'homme inspecte sa mallette. Le temps presse ; en ce mercredi de janvier 2014, ses patients affluent, l'œil grave.
Dominique Martin repère Antoine , petit bonhomme aux cheveux longs et aux lunettes noir et rouge qui a pris place au milieu des autres malades. « Tiens, mon copain Harry Potter ! », lui lance-t-il avec un clin d'œil. Antoine, 9 ans, souffre d'une malformation cardiaque. Dominique glisse une balle rouge entre ses mains. « Souffle sur tes doigts, Harry, et ouvre-les. » L'enfant s'exécute. Trois balles jaillissent. Des voix enfantines laissent échapper un long « Oh » d'étonnement. « Applaudissez mon assistant ! sourit Dominique Martin. Il est très courageux d'aider un magicien car on peut disparaître à tout moment. »
Ancien chef du service de chirurgie plastique du CHU de Bordeaux, le Pr
Martin est également connu sous son nom de scène : Martingale. Jeune
retraité, il vit désormais à Marseille, où tous les mercredis
il offre bénévolement un spectacle aux jeunes malades.
Mince, vif, Martingale a toujours le sourire aux lèvres. Sa gestuelle et son
bagout empruntent à de Funès comme à Fernandel. Et font mouche. Antoine n'en
perd pas une miette. Il oublie ses pansements, son mal de tête, il oublie même
l'hôpital.
Une fois son tour terminé,
Martingale file dans les chambres des
enfants trop faibles, contagieux ou entravés par les appareils médicaux pour
quitter leur lit. À chacun, il propose près d'une demi-heure d'évasion. « Même
les ados qui jouent aux durs y trouvent du plaisir, raconte Christine, l'une
des éducatrices de l'hôpital marseillais. La magie leur fait un bien fou. »
La souffrance et l'ennui des
plus jeunes à l'hôpital, Dominique
Martin ne les connaît que trop. « Mon fils Loïc avait 5 ans lorsqu'on
lui a diagnostiqué une forme
grave de leucémie, dit-il. Il a subi
de nombreux séjours à l'hôpital Necker, à Paris. »
En cette année 1995, Dominique, Marie-Jo, la maman de Loïc, et Laure, sa grande sœur, vivent alors à Bordeaux. Ils rendent visite autant que possible à Loïc, à Paris, le week-end notamment. « Nous avons réalisé combien le milieu hospitalier était triste pour ces petits », se souviennent-ils. Loïc meurt quelques mois plus tard. Plus que la révolte ou un sentiment d'injustice, c'est du fatalisme qui anime alors Dominique Martin. « À la loterie du destin, il est tombé sur un bien mauvais numéro, murmure-t-il. Son décès est le drame de ma vie... Je me suis fait aider par une psychiatre et me suis réfugié dans mon travail de chirurgien. Puis, plus tard, dans la magie. » La magie qui agira dès lors comme un trait d'union entre le père aimant et le fils disparu. Dominique fait un serment : « En ta mémoire, Loïc, j'offrirai du bonheur à ceux qui en ont besoin. Je te le promets... »
Mince, cet as de pique qui me glisse entre les doigts... Ah ! Les cartes ! » Leur manipulation donne du fil à retordre à Dominique Martin.
En 1996,
celui qui n'est
encore qu'un
apprenti magicien passe des heures face à son miroir pour s'entraîner aux
« routines »,
les techniques de
base de la magie.
« Non seulement, il est doué, mais c'est un bosseur », commente Gérard Sourbé, son
maître de magie qui, entre 1996 et 1998, lui a appris ses premiers tours.
« Dominique maîtrise le détail du geste, ajoute Francis Lasnier, son autre
professeur. Son métier de microchirurgien l'a préparé à sa nouvelle passion. »
Un métier avec lequel il jongle souvent pendant son apprentissage lorsque, au
cours d'une leçon de magie, il doit s'absenter en urgence pour un malade. Le Pr
Martin saisit alors sa casquette, grimpe sur son vélo et revient, quarante-cinq
minutes plus tard, rassuré par l'état de son patient et prêt à reprendre son
cours.
En 1998, plus stressé que lors de ses examens de médecine, il se présente
devant les membres de la Fédération française des artistes prestidigitateurs,
qui lui remettent sans hésitation sa baguette magique officielle. « À cet
instant, j'ai eu le sentiment de partager une joie intense avec Loïc », se
souvient'il.
Le Pr Martin se mue aussitôt en Martingale et commence ses
spectacles à l'hôpital de Bordeaux, puis dans le service de cardio-pédiatrie du
CHU de Pessac. Pour encadrer ses activités, il fonde avec sa femme l'association Magicôpital, que
le couple finance sur ses fonds propres. Touché par le projet, le spationaute
Patrick Baudry accepte de parrainer Magicôpital et décroche 5 000,00 € auprès
d'un sponsor. Patrick Baudry pour lequel Dominique reste un être à part.
« Rares sont les chirurgiens esthétiques qui préfèrent se consacrer aux autres
plutôt que de courir après l'argent et les belles voitures. »
Si la magie en milieu médical est efficace, elle est aussi contraignante.
Dominique doit s'adapter à tous les enfants, qu'ils aient 2 ou 14 ans,
travailler dans des chambres exiguës, respecter des règles d'hygiène strictes,
porter parfois un masque, des gants, voire une combinaison. « Impossible,
alors, d'escamoter quoi que ce soit dans la veste ! Il faut aussi faire
attention à ne pas donner à un enfant immunodéprimé une balle qui vient de
passer dans le service des maladies infectieuses ou ne pas offrir de pièces en
chocolat à un diabétique... »
À Marseille, il aimerait former un élève qui le remplacerait
pendant les missions de chirurgie humanitaire qu'il effectue en Afrique et en
Asie quatre fois par an. Les candidats sont rares. Peu disposent des techniques
qui permettent d'intéresser aussi bien le bébé que l'adulte. Beaucoup - aussi
étrange que cela paraisse - craignent d'attraper des maladies ; enfin, la
plupart redoutent la confrontation avec la souffrance et la mort.
Aujourd'hui, Magicôpital possède des antennes à Marseille, Bordeaux et Paris.
Parmi les centaines de sourires d'enfants inscrits dans la mémoire de
Martingale, Dominique cite celui d'un gamin de 6 ans. « Il était cloué au lit
par la douleur d'une appendicite aiguë, presque une péritonite. Et pourtant, la
magie a réussi à l'apaiser. En tant que médecin, je n'en revenais pas ! »
Ce mercredi à l'hôpital de la Timone, à la fin du spectacle, le jeune Antoine
confie à ses parents : « Il est très fort, Martingale, mais je crois que j'ai
découvert quelques-uns de ses trucs. » À deux pas, Dominique range foulards,
balles et baguette en souriant. Antoine regagne sa chambre le regard pétillant.
Bravo, professeur Martin, l'opération s'est parfaitement déroulée.